La jouissance privative d’un bien indivis, au sens de l’article 815-9 du Code civil, est caractérisée par la détention des clés de l’immeuble indivis permettant à certains des coïndivisaires seuls de disposer librement du bien.
Aux termes de l’article 815-9, alinéa 2, du Code civil, « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité ».
La preuve de la jouissance privative d’un bien indivis par un indivisaire, permettant de mettre à sa charge une indemnité d’occupation, donne lieu à un important contentieux.
Dans l’arrêt rendu le 31 mars 2016, la Cour de cassation a plus particulièrement eu à se prononcer, dans le cadre d’une indivision successorale, sur l’impact de la détention des clés par certains coïndivisaires, qui indiquaient n’occuper qu’une partie du bien indivis.
La détention des clés caractérisait-elle une jouissance privative et exclusive du bien indivis justifiant la fixation d’une indemnité, alors que le bien n’était occupé que partiellement ?
En l’espèce, des époux, Lucien et Michelle X, avaient acquis en indivision pour moitié une maison avec leur fille et le mari de cette dernière, M. Y. Les époux X occupaient le deuxième étage de la maison et les époux Y, avec leur fils, le premier étage, l’accès à l’immeuble se faisant par une même porte d’entrée au rez-de-chaussée de la maison.
Dans le cadre de la liquidation et du partage de la succession de Lucien X, son épouse, puis son fils, sollicitaient la condamnation des consorts Y à régler une indemnité pour l’occupation de la maison indivise où Michelle X avait cessé de vivre après son installation dans une maison de retraite.
Pour démontrer que les consorts Y jouissaient privativement de la maison indivise, M. X se fondait notamment sur des attestations selon lesquelles seuls les consorts Y détenaient les clés de la maison, et sur deux sommations interpellatives délivrées aux consorts Y, sollicitant la remise des clés, qui n’aura lieu qu’en janvier 2013.
Les consorts Y faisaient, quant à eux, valoir qu’ils n’occupaient que le premier étage de la maison, ce qui ne pouvait pas, selon eux, caractériser une occupation exclusive du bien indivis.
La Cour de cassation s’est prononcée une première fois dans un arrêt du 21 novembre 2012 (Cass. 1re civ., 21 nov. 2012, n° 11-20365) par lequel elle a cassé pour manque de base légale la décision des premiers juges d’appel (CA Nancy, 21 févr. 2011) qui avaient considéré que l’occupation de la totalité de l’immeuble, divisé en deux appartements, n’était pas démontrée par M. X. La Cour de cassation avait alors reproché aux premiers juges d’appel de n’avoir pas recherché « si la détention des clés de la porte d’entrée de l’immeuble par les consorts Y n’en interdisait pas l’accès à leur coïndivisaire ».
Saisie une seconde fois par M. X, la Cour de cassation censure à nouveau les juges d’appel aux termes d’un arrêt du 31 mars 2016 (Cass. 1re civ., 31 mars 2016, n° 15-10748), la cour de renvoi (CA Metz, 4 nov. 2014, n° 12/03731) ayant considéré que l’opposition des consorts Y à remettre à M. X en personne les clés permettant l’accès à la maison ne permettait pas d’établir l’existence d’une occupation privative et exclusive du bien indivis.
La Cour de cassation casse cette décision pour violation de l’article 815-9 du Code civil, après avoir rappelé que « la jouissance privative d’un immeuble indivis résulte de l’impossibilité de droit ou de fait pour un coïndivisaire d’user de la chose », et qu’en l’espèce, la détention des clés permettait aux consorts Y d’avoir seuls la libre disposition du bien indivis, caractérisant une jouissance privative et exclusive.
Cette décision est conforme à la jurisprudence classique de la Cour de cassation, selon laquelle :
– l’occupation privative résulte de l’impossibilité de droit ou de fait pour un indivisaire d’user du bien indivis (Cass. 1re civ., 8 juill. 2009, n° 07-19465), ce qu’elle rappelle ici, et avait déjà eu l’occasion d’affirmer s’agissant d’un indivisaire détenant seul les clés (Cass. 1re civ., 30 juin 2004, n° 02-20085) ;
– l’occupation privative ne suppose pas nécessairement une occupation effective du bien indivis (Cass. 1re civ., 11 juill. 2006, n° 04-17894), ce que l’on constate ici, la Cour de cassation ne distinguant pas selon que les consorts Y occupent ou non l’intégralité de la maison.
Dans le même sens, la question de la détention des clés a donné lieu, le même jour, à un second arrêt de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 31 mars 2016, n° 15-17433), qui, après avoir rappelé qu’une indemnité d‘occupation est due « même en l’absence d’occupation effective » du bien indivis, a jugé qu’il appartenait aux indivisaires, qui avaient changé les serrures, de rapporter la preuve de la mise à disposition des nouvelles clés à leur coïndivisaire.
La preuve de la jouissance privative et exclusive du bien indivis est donc logiquement facilitée lorsque l’un ou certains seulement des indivisaires détiennent les clés. Elle est plus complexe lorsque chacun des indivisaires possède un jeu de clés, ce qui n’exclut pourtant pas que l’un d’eux soit empêché d’user du bien au même titre que l’autre, et pourrait donc donner lieu à la fixation d’une indemnité d’occupation.
Cass. 1re civ., 31 mars 2016, n° 15-10748