Condamnation pour diffamation après avoir accusé des policiers de « torture » : violation du droit à la liberté d’expression
Dans un arrêt de chambre du 20 novembre 2018, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne l’Espagne pour violation du droit à la liberté d’expression du requérant ( Conv. EDH, art. 10 ) qui avait accusé des policiers de torture, estimant que celui-ci avait utilisé ce terme dans un sens familier et non au sens strict du Code pénal espagnol.
Deux activistes espagnols se sont fait déloger d’un centre social par les forces de l’ordre après d’y être attachés. Au cours d’une conférence de presse, le requérant qualifia de torture l’action de la police visant à le faire sortir du lieu, déclarant que les moyens employés lui avaient causé de grandes souffrances. Il précisa que l’acte de torture avait été perpétré par les deux policiers dont la photographie était parue dans la presse. Il fut inculpé de diffamation à l’encontre des policiers et reconnu coupable par la justice espagnole qui s’était appuyée sur la définition donnée à la notion de « torture » par le Code pénal pour juger que l’action de la police ne pouvait être qualifiée comme telle. Le juge en avait conclu que l’accusation portée par le requérant était fausse, il le condamna au paiement d’une amende.
La CEDH juge que, quand bien même le requérant aurait exagéré sa situation, il a vraisemblablement connu un sentiment d’angoisse et de peur, et a subi des souffrances physiques et mentales. Elle estime que ses déclarations ont été faites de bonne foi dans le cadre d’un débat sur une question d’intérêt public, c’est-à-dire l’action de policiers en leur qualité de représentants de l’autorité publique. Le principal point de désaccord était l’usage du mot « torture » mais la Cour estime qu’il avait servi à formuler un jugement de valeur, lequel ne se prête pas à la démonstration de son exactitude, et que le requérant l’avait donc entendu en un sens familier pour décrire un usage excessif de la force et critiquer les méthodes employées contre lui par la police et les pompiers.
La Cour retient également la nature et la gravité de la peine, estimant que l’amende et la menace d’une peine d’emprisonnement si le montant n’était pas payé ont pu avoir un effet dissuasif sur sa liberté d’expression en le décourageant de critiquer l’action d’agents publics. En outre, lui imposer la définition juridique de la torture tirée du Code pénal était excessif. Globalement, la peine n’était pas justifiée de manière appropriée et les critères retenus par les juridictions internes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre l’ensemble des droits et des intérêts s’y rapportant. L’ingérence dans les droits du requérant n’était pas « nécessaire dans une société démocratique », elle condamne donc l’Espagne pour violation de l’article 10.
Source
CEDH, 20 nov. 2018, n° 26922/14, Toranzo Gomez c/ Espagne
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