La solidarité active ne se présume pas… même en matière commerciale !
Tel est l’apport notable de cet arrêt rendu en date du 26 septembre 2018 par la chambre commerciale.
L’assertion peut de prime abord surprendre. De source coutumière et à rebours de la règle civile, la solidarité joue de jurisprudence constante en matière commerciale en dehors de toute stipulation expresse (V. Cass. com., 21 avr. 1980, n° 78-14.765). C’est ainsi que pour arguer de la recevabilité de son action en paiement, le créancier faisait valoir sur le fondement de l’ancien article 1197 du Code civil que, en raison de la présomption commerciale de sa qualité de créancier solidaire, l’action en temps utile de ses co-créanciers – tous bénéficiaires d’une garantie d’actif et de passif issue d’une même opération de cession de parts sociales d’une SAS – avait interrompu la prescription à son égard. C’est là, il est vrai, un des effets secondaires notoires de la solidarité entre créanciers : l’intérêt commun qui les lie justifie qu’ils se représentent mutuellement dès lors que la créance doit être recouvrée ou conservée. Partant, ils bénéficient des actes de poursuite accomplis par l’un d’entre eux seulement, y compris l’interruption de prescription. Il va sans dire que l’enjeu était majeur en l’espèce : de la reconnaissance de la solidarité dépendait la recevabilité de l’action en paiement de sa créance. Aussi la cour d’appel s’était-elle laissée séduire par la dialectique.
Mais c’était là se méprendre sur la nature de la solidarité permettant l’exclusion du jeu de l’ancien article 1202 du Code civil . Car, si présomption de solidarité il y a en matière commerciale, ce n’est que lorsque celle-ci est passive, c’est-à-dire entre une pluralité de débiteurs. L’analogie ne saurait opérer en cas de pluralité de créanciers. C’est dire si la chambre commerciale a les yeux d’Argus ! Refusant à l’instar de la cour d’appel de déduire la solidarité entre créanciers du seul caractère commercial de l’opération, la Cour de cassation confirme ainsi la dichotomie traditionnelle entre solidarité active et solidarité passive, réservant l’exception à cette dernière. La solidarité active ne se présume pas quelle que soit la nature de la créance et quels que soient la qualité et les liens unissant les créanciers. Elle avait déjà eu l’occasion de l’affirmer (V. Cass. civ., 15 juin 1914 : DP 1916, I, p. 88. – Cass. civ., 18 juill. 1929 : DH 1929, p. 556. – Cass. com., 14 mars 2000, n° 97-16.905). Fort de ce constat, elle n’avait de surcroît pas à se prononcer sur la question plus épineuse encore du critère d’application de la présomption qui scinde la doctrine (V. B. Dondero, La présomption de solidarité en matière commerciale : une rigueur à modérer : D. 2009, p. 1097).
Ce cantonnement est d’autant plus légitime que, contrairement à la solidarité passive qui affermit la situation des créanciers, la solidarité active ne profite pas davantage aux créanciers qu’aux débiteurs. Pire, les recours ultérieurs des co-créanciers pourront achopper sur la mauvaise foi ou l’insolvabilité du créancier accipiens. C’est du reste ce qui justifie qu’elle soit rarement stipulée par les parties et, surtout, appréhendée rigoureusement par la jurisprudence (Cass. 1re civ., 27 avr. 2004, n° 02-10.347 : JurisData n° 2004-023431 ). Il y a fort à penser que la formule générale de l’article 1310 du Code civil issue de l’ordonnance de 2016 n’y changera rien sauf à entrouvrir la consécration d’hypothèses de solidarité active d’origine légale présentement absentes du paysage juridique.
Auteur
Bee Receveur
Source
Cass. com., 26 sept. 2018, n° 16-28.133, F-P+B : JurisData n° 2018-016448
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