Linky contre les communes : nul ne se plaint par procureur devant la CNIL
Pour l’exercice de ses missions de contrôle, la CNIL reçoit toutes les réclamations, pétitions et plaintes relatives à la mise en œuvre des traitements de données à caractère personnel (L. n° 78-17, 6 janv. 1978, art. 11, 2°, c). Or, le refus de donner suite à une de ces plaintes est un acte qui, faisant grief, est susceptible de recours pour excès de pouvoir (CE, 28 mars 1997, n° 182912).
Si la CNIL a la faculté, même sans texte, de rejeter les plaintes qui présentent un caractère abusif, elle ne peut – le cas échéant – les rejeter sans un examen préalable de chacune d’elles (CE, 10 avr. 2015, n° 376575 : JurisData n° 2015-008278 ). Le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle restreint sur la décision de la CNIL de ne pas donner suite à une plainte dont elle serait saisie. En revanche, l’auteur d’une plainte n’a aucun intérêt à contester la décision prise à l’issue de l’instruction conduite par la CNIL (CE, 19 juin 2017, n° 398442 : JurisData n° 2017-012340 ; JCP A 2017, act. 470).
Dans un arrêt du mois dernier, le Conseil d’État avait précisé sa jurisprudence afin de mieux faire ressortir le caractère discrétionnaire du pouvoir répressif de la CNIL : « L’auteur d’une plainte peut déférer au juge de l’excès de pouvoir le refus de la CNIL d’engager à l’encontre de la personne visée par la plainte une procédure sur le fondement du I de l’article 45 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, y compris lorsque la CNIL procède à des mesures d’instruction ou constate l’existence d’un manquement aux dispositions de cette loi. (…) En revanche, lorsque la CNIL a décidé d’engager une procédure sur le fondement de l’article 45 de la loi du 6 janvier 1978, l’auteur de la plainte n’a intérêt à contester ni la décision prise à l’issue de cette procédure, quel qu’en soit le dispositif, ni le sort réservé à sa plainte à l’issue de cette dernière. Il est toutefois recevable à déférer, dans tous les cas, au juge de l’excès de pouvoir le défaut d’information par la CNIL des suites données à sa plainte » ( CE, 21 juin 2018, n° 416505 : JurisData n° 2018-010711 ).
En reprenant à l’identique ce dernier considérant, notre arrêt précise que n’importe qui n’est pas recevable à contester le refus de la CNIL d’instruire une plainte. Encore faut-il avoir un intérêt suffisamment direct au regard des infractions éventuelles dont fait état la plainte. En l’espèce, des communes avaient saisi la CNIL de plaintes relatives à la mise en œuvre des compteurs « Linky » en visant, tout particulièrement, les conditions dans lesquelles la société ENEDIS relève, exploite et stocke les données à caractère personnel des abonnés extraites de leurs relevés de consommation. Toutefois, compte tenu de ce que les communes motivaient leur initiative par le souci de relayer les préoccupations de leurs administrés, le Conseil d’État n’a pas admis qu’elles fussent recevables, faute d’intérêt à agir, pour contester le refus de la CNIL d’engager une procédure de sanction. Il n’a pas admis davantage qu’elles pussent se prévaloir de la circonstance suivant laquelle « elles devraient, à terme, être elles-mêmes équipées de compteurs communicants », car elles ne peuvent « être davantage regardées à ce titre, eu égard à leur qualité de collectivités publiques et à l’objet des données personnelles, relatives aux habitudes de consommation d’électricité, susceptibles d’être collectées par les compteurs « Linky », comme justifiant d’un intérêt suffisant pour saisir la CNIL ». C’est dire, implicitement, que les données personnelles des collectivités publiques n’ont pas le caractère de données à caractère personnel au sens de l’article 2 de la loi précitée du 6 janvier 1978. Sur le fond du problème, on rappellera que la CNIL a déjà mis en demeure la société DIRECT ENERGIE de se conformer à la loi en raison d’une absence de consentement à la collecte des données de consommation par les compteurs « Linky » ( CNIL, délib. n° 2018-082, 22 mars 2018 ).
Auteur : Clemmy FRIEDRICH
Source
CE, 11 juill. 2018, n° 413782 : JurisData n° 2018-012364
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